Page:Stendhal - Mémoires d’un touriste, I, 1929, éd. Martineau.djvu/389

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
350
MÉMOIRES D’UN TOURISTE

— Avignon, le 16 juin 1837.

Ce fut le pape Innocent VI qui fit construire, en 1358, les jolis remparts d’Avignon ; il s’agissait de garantir la ville des attaques d’une troupe de brigands qui s’était formée dans le midi.

Ces jolis murs sont bâtis en petites pierres carrées admirablement jointes : les mâchicoulis sont supportés par un rang de petites consoles d’un charmant profil ; les créneaux sont d’une régularité parfaite. Toute cette construction annonce la richesse et la sécurité ; l’homme qui bâtit est si peu dominé par le sentiment de l’utile et par la peur, qu’il se permet les ornements. Ces murs sont flanqués de tours carrées placées à distances égales et du plus bel effet. On [se] promène sur leur épaisseur ; jolie vue.

Le temps a donné à ces pierres si égales, si bien jointes, d’un si beau poli, une teinte uniforme de feuille sèche qui [en] augmente encore la beauté. C’est l’art d’Italie avec ses charmes, transporté tout à coup au milieu de ces Gaulois si braves, mais qui élèvent des monuments si laids[1].

  1. On y voit toujours, quand on a des yeux, la peur de la mort ou de l’enfer. En 1613, Léon X lui-même n’était pas bien sûr de l’enfer.