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PONT SAINT-ESPRIT

vent pour prendre et débarquer des voyageurs, et l’on ralentit un peu sa marche au moment où l’on glisse sous une foule de jolis ponts suspendus.

Nous avons eu l’honneur de passer sous le pont Saint-Esprit, qui a une fort mauvaise réputation. On dit que trente personnes s’y sont noyées l’an passé ; trente en style provençal, veut dire dix tout au plus : mais c’est encore trop, et le gouvernement devrait faire arracher une pile, au moyen de quoi on aurait une arche marinière assez large ; il ne faudrait pour cela que quelques mines sous l’eau, comme je l’ai vu pratiquer aux colonies.

Notre bateau a passé fort rapidement sous ce pont terrible, et immédiatement après on l’a fait dévier à droite en formant un angle de cinquante degrés peut-être avec sa direction première. À un pied de notre bord, pas plus, il y avait un banc de sable s’élevant au-dessus de l’eau de quelques pouces seulement ; mais du train dont nous allions il nous eût brisés. Ces bancs changent à toutes les grandes crues du fleuve, de là le talent des pilotes.

On me dit que, lorsqu’il y a des dames ou des hommes auxquels la peur donne le courage d’affronter les regards et les plaisanteries de tous les passagers, on débarque les craintifs au-dessus du pont