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MÉMOIRES D’UN TOURISTE

— 12 juin.

(Sur le bateau à vapeur, vis-à-vis Montélimart.)

Je suis dans l’enchantement des rives du Rhône. Le plaisir me donne du courage ; je ne sais où trouver des termes prudents pour peindre le prospérité croissante dont la France jouit sous le règne de Louis-Philippe. J’ai peur de passer pour un écrivain payé.

À chaque pas, je vois des maçons à l’œuvre : on bâtit une foule de maisons dans les villes, dans les bourgs, dans les villages ; partout les rues se redressent. Dans les champs on voit de tous les côtés creuser des fossés d’écoulement, bâtir des murs, planter des haies.

À la vérité, il y a bien vingt-deux ans que nous avons la paix ; mais avant 1830, une sorte d’alarme sourde agitait les esprits ; on prévoyait des orages. On ne songeait pas, il est vrai, à ce qui est arrivé ; ce n’est qu’à Paris qu’on a prévu la culbute. On croyait dans les campagnes que la charrette verserait de l’autre côté ; on tenait que les biens nationaux seraient repris par les émigrés, qui, quoi qu’en dit le roi, se referaient seigneurs des villages. Le clergé répétait sans cesse qu’on allait