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LE LIEUTENANT BONAPARTE

vous parle, et celui qu’elle exige de vous. Chacun ici, en prenant la parole, songe à satisfaire le sentiment qui l’agite, et pas le moins du monde à se construire un noble caractère dans l’esprit de la personne qui écoute, encore moins à rendre les égards qu’il doit à la position sociale de cette personne. C’est bien ici que M. de Talleyrand dirait : On ne respecte plus rien en France.

Une certaine joie native serpente dans les actions de ces hommes du Midi, qui sembleraient si grossiers à un jeune homme à demi poitrinaire élevé dans la bonne compagnie de Paris.

J’erre dans cette petite ville sous un soleil ardent. Je monte à la citadelle commencée par François Ier ; belle vue. Un vieux caporal me fait remarquer sur l’autre rive du Rhône la côte de Saint-Péray, patrie du bon vin de ce nom. Le polygone, remarquable aujourd’hui par ses beaux platanes, me fait penser à la jeunesse de Bonaparte. La femme la plus distinguée de la ville accueillit avec bonté le jeune lieutenant et devina son génie. Elle consola sa vanité qui souffrait cruellement ; ses camarades avaient des chevaux, des cabriolets, et la petite pension promise par sa famille était mal payée. Toutefois cette famille se décidait au