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MÉMOIRES D’UN TOURISTE

ai pas le temps[1]. J’éprouve à mon grand regret que je ne suis pas un curieux, mais un marchand. Aussi je comprends mieux que personne ce qui me manque pour oser donner au public un essai de voyage en France.

Il faudrait pouvoir étudier chaque département au moins pendant dix jours, ce qui, pour les trente départements que je parcours, ferait trois cents jours, ou dix mois ; et je ne puis allonger ma course en France que d’un mois ou deux tout au plus. En second lieu, et c’est là l’essentiel, il faudrait avoir les opinions que la mode prescrit en ce moment ; or je suis tout à fait déficient de ce côté-là. Je jouis par mes opinions, et je n’aurais aucun plaisir à les échanger contre des jouissances de vanité ou d’argent. Le ciel m’a si peu donné l’instinct du succès, que je suis comme forcé de me rappeler plus souvent une manière de voir, précisément parce que l’on me dit qu’elle n’est pas à la mode. J’ai du plaisir à me prouver de nouveau cette vérité dangereuse, à chaque fait duquel on peut la déduire.

— Mais, me dira-t-on, une fois un désavantage si grand bien compris dans toute son étendue, pourquoi s’aviser d’é-

  1. On trouvera au début du tome III une visite à Mlle  Sophie Laroche, datée de Virieu. N. D. L. É.