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de cœur et d’esprit, acquit des droits éternels à ma reconnaissance, en me présentant à une société de gens qui savaient dîner. Ces messieurs, au nombre de dix ou douze, se donnaient à dîner quatre fois la semaine, chacun à son tour. Celui qui manquait au dîner, payait une amende de douze bouteilles de vin de Bourgogne. Ces messieurs avaient des cuisinières et non des cuisiniers. À ces dîners, point de politique passionnée, point de littérature, aucune prétention à montrer de l’esprit ; l’unique affaire était de bien manger. Un plat était-il excellent, on gardait un silence religieux en s’en occupant. Du reste, chaque plat était jugé sévèrement, et sans complaisance aucune pour le maître de la maison. Dans les grandes occasions, on faisait venir la cuisinière pour recevoir les compliments, qui souvent n’étaient pas unanimes. J’ai vu, spectacle touchant, une de ces filles, grosse Maritorne de quarante ans, pleurer de joie à l’occasion d’un canard aux olives ; soyez convaincu qu’à Paris nous ne connaissons que la copie de ce plat-là.

Un tel dîner, où tout doit être parfait, n’est pas une petite affaire pour celui qui le donne ; il faut être en course dès l’avant-veille : mais aussi rien ne peut