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dait à vingt-cinq ans qu’il n’épouserait jamais qu’une femme de 300.000 fr. ; à trente ans il s’est réduit à 150.000, et enfin à trente-cinq il vient d’épouser une femme de 80.000 francs seulement.

Les jeunes gens passent leur vie au café, à brûler des cigares et à parler entre eux de projets de fortune ; il la leur faut brillante et rapide. La fortune d’un certain lieutenant d’artillerie a rendu fous tous les Français pour un demi-siècle au moins. Cette année-ci, me dit Ranville, ces jeunes gens qui veulent faire fortune sans travailler commencent à parler beaucoup des élections et des chemins de fer, refusés par la paresse de la chambre. S’il s’élevait un Mirabeau ou un Danton, son éloquence pourrait les conduire aux plus grandes folies, car au fond ils s’ennuient.

— À propos d’ennui, et la littérature ?

— Ces messieurs ne peuvent comprendre la passion prétendue effrénée du roman moderne, ils comprennent encore bien moins la tendre exaltation des romans qui nous rendaient fous quand nous étions à leur âge. Personne ne lit plus la Nouvelle Héloïse, les romans de madame Cottin, ceux de Maria-Régina Roche, traduits par l’abbé Morellet. La littérature des jeunes gens de 1837 ne s’élève guère au-dessus des Mémoires de madame Dubarry, de