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MÉMOIRES D’UN TOURISTE.

langues et de patois, et c’est sans doute pendant que ma vanité cherchait à comprendre ce que me voulait un beau Catalan qui m’engageait à un bal pour le soir, que je fus dévalisé. Du reste, on ne pouvait pas être volé avec moins d’inconvénient. Je trouvai un mouchoir dans une boutique à trois pas de moi.

Un riche marchand avec lequel je fais des affaires me raconte que, longtemps avant la foire, les principaux négociants s’occupent de louer une maison, un appartement, une chambre. Ici, dans chaque chambre on voit quatre ou cinq lits ; le propriétaire se relègue dans son grenier : en revanche non-seulement la foire paye son loyer, mais le dispense de travailler pendant le reste de l’année.

Il y a des usages qui font loi. Les marchands de laine et les drapiers doivent loger alternativement dans la Grande-Rue et dans la Rue-Haute. Les drapiers payent leur loyer beaucoup plus cher, parce qu’ils vendent une marchandise riche.

Les lingers s’établissent tout près de la porte du Rhône ; les juifs occupent le milieu d’une certaine rue, dont le haut et le bas sont pris par les marchands de cuir.

Les boutiques des maisons ne sont pas seules louées ; devant le mur, d’une boutique à l’autre, il y a des échoppes couvertes en toile. L’on tire parti même des bancs de pierre qui se trouvent quelquefois le long des maisons : ils font l’affaire des petits merciers.

Le singulier de cette foire, c’est qu’il y a foule partout, et les costumes sont aussi variés que les langages ; mais ce qui frappe avant tout, et donne une familiarité particulière au labyrinthe dans lequel cette foule s’agite et tourbillonne, c’est la quantité de grands morceaux de toile de coton, formant tableaux de toutes couleurs et de toutes formes, carrés, triangulaires, ronds, qui flottent au milieu de la rue, à quinze pieds au-dessus des têtes ; les marchands les suspendent à des cordes tendues d’une maison à celle qui est vis-à-vis. Ces toiles portent l’indication de leurs noms, de leurs domiciles ordinaires et de leurs demeures à