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MÉMOIRES D’UN TOURISTE.

Le gouvernement devrait faire exécuter une copie parfaitement exacte de cette statue vraiment française, et la placer à l’entrée du Musée. Cet avis pourrait être utile ; mais qui osera le donner ? J’y joindrais la Jeanne d’Arc qui orne la place de ce nom.

À côté de la salle immense et sombre où se démène la statue de Pierre Corneille, l’on m’a introduit dans une salle magnifiquement lambrissée, où le parlement de Rouen tenait ses séances. Cette magnificence m’a rappelé le fameux procès que le duc de Saint-Simon vint plaider à Rouen, et dont le récit est si plaisant sans que l’auteur s’en doute. Cet homme honnête au fond, et si fier de son honnêteté, et qui eût pu se faire donner vingt millions par le régent, auquel il ne demanda pas même le cordon du Saint-Esprit, raconte gravement comment il gagna son procès à Rouen, en ayant soin de donner à souper aux magistrats. Il se moque fort du duc son adversaire, qui n’eut pas l’esprit d’ouvrir une maison.

Quant à lui, le procès gagné, il se mit à protéger le frère d’un de ses juges, qu’il fit colonel, maréchal de camp, lieutenant général, et qui fut tué à la tête des troupes dans l’une des dernières campagnes de Louis XIV, en Italie.

Le plaisant de la chose, c’est que le duc de Saint-Simon et ses juges se croyaient de fort honnêtes gens. Le Français ne sait pas raisonner contre la mode. La liberté de la presse contrarie ce défaut, et va changer le caractère national, si elle dure.


— Paris, le 18 juillet 1857.

Ce que j’aime du voyage, c’est l’étonnement du retour. Je parcours avec admiration et le cœur épanoui de joie la rue de la Paix et le boulevard, qui, le jour de mon départ, ne me semblaient que commodes.

Je paye maintenant les journées d’entraînement que j’ai passées à Auray à observer les mœurs bretonnes, et à Saint-Malo à battre la mer dans une barque, comme dans les beaux jours