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MÉMOIRES D’UN TOURISTE.

chemin les convenances n’ont-elles pas fait depuis ce temps-là !

Une porte de la ville est en ogive, et l’une des pierres que l’on a employées pour la construire présente une inscription romaine.

Il faut avouer que la couleur gris-noirâtre des petits-morceaux de granit carrés avec lesquels les maisons de Rennes sont bâties n’est pas d’un bel effet.

On construisait un pont sur la Vilaine, qui là est une bien petite rivière (il me semble qu’il est tombé depuis). J’ai été fort content des promenades du Tabor et du Mail. Les pantalons rouges des conscrits, auxquels on enseignait le maniement des armes, faisaient un très-bon effet au coucher du soleil ; c’était un tableau du Canaletto.

Je me suis hâté de courir au Musée, avant que le jour me quittât ; les tableaux sont placés dans une grande salle, au rez-de-chaussée ; une grosse église voisine la prive tout à fait du soleil, aussi elle est fort humide, et les tableaux y dépérissent-ils rapidement. J’y ai vu un Guerchin presque tout à fait dévoré par l’humidité. Dans deux ou trois petites salles voisines, où les tableaux et les gravures sont entassés, faute d’espace, on a le plaisir d’aller comme à la découverte. J’y ai trouvé une jolie collection des maîtresses de Louis XIV ; elles ont des yeux singuliers et bien dignes d’être aimés ; mais, par l’effet de l’humidité, une joue de madame de Maintenon venait de se détacher de la toile. Je reste dans ces chambres jusqu’à ce que la nuit m’en chasse tout à fait. Le concierge, homme fort intelligent, a été amené en Bretagne par la prise de Mayence. Une fois, à Bologne, en remuant des tableaux entassés comme ceux-ci, je découvris un joli petit portrait de Diane de Poitiers qui, présumant bien, à ce qu’il parait, de ses appas secrets, s’était fait peindre dans le costume d’Ève avant son péché.

Il faut que l’on ait en ce pays-ci bien peu de goût pour les arts : un musée aussi pauvrement tenu fait honte à une ville aussi riche. Il y a quelques années qu’un paysan des environs décou-