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MÉMOIRES D’UN TOURISTE.

forme célèbre dans le pays et que je n’ai guère examinée. Il y a une ruine romaine dans le jardin de la Croix-Blanche.

Ce soir, je viens d’être l’objet d’un trait d’exquise politesse de la part du maître du cabinet littéraire. Je lisais avec beaucoup d’intérêt une brochure intitulée : la Destruction du couvent de Bajano à Naples ; j’étais seul dans le cabinet littéraire, qui ferme à sept heures et demie ; la chandelle ne brûlait que pour moi ; mais le propriétaire, voyant l’extrême attention avec laquelle je lisais, a attendu jusqu’à neuf heures pour me parler de la clôture du cabinet. Remarquez que sa chandelle brûlait ; ce qui, en province, est une grande considération. Je ne savais, en vérité, comment témoigner ma reconnaissance à ce monsieur, je n’ai pas osé hasarder la pièce de vingt sous, sous prétexte de la dépense faite uniquement pour moi ; la théorie me dit que j’ai mal fait, mais j’aurais eu trop de vergogne si j’avais offensé cet aimable Languedocien.


— Sijean, le 14 septembre 1837.

Le soleil allait se lever lorsque je suis arrivé à Narbonne, dont j’apercevais depuis longtemps la haute tour se détachant sur l’aube du matin. Cette ville m’intéresse. Autrefois je rencontrais dans une maison le savant M. Fauriel, l’académicien de France peut-être qui ment le moins, et le seul des historiens contemporains en qui j’aie foi[1].

M. Fauriel nous disait, ce me semble, que longtemps après que le barbare Genséric eut pris et pillé Rome, le 12 juillet 455, Narbonne était restée romaine par les mœurs et la civilisation. Jules César et Tibère l’avaient embellie. Je me suis donc arrêté, quoique très-pressé, afin de regarder un instant les murs de la

  1. M. Fauriel est mort à Paris le 14 juillet 1844, âgé de soixante-trois ans. Beyle fit sa connaissance vers la fin de 1799, et probablement chez la veuve de Condorcet, alors fort jolie, et auprès de laquelle M. Fauriel était très-assidu (R. C.)