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MÉMOIRES D’UN TOURISTE.

d’avoir une habitation passable et une robe de peau pour l’hiver !

Or, au dix-neuvième comme au dixième, du temps de saint Paul comme du nôtre, le prêtre monte en chaire pour prêcher le mépris du monde, le détachement des biens terrestres, le renoncement aux plaisirs et aux jouissances matérielles. J’admets pour un instant, et contre toute évidence, la vérité de cette doctrine ; peut-elle convenir à deux siècles, non pas seulement différents, mais opposés, au cinquième siècle et au nôtre ?

Pour ne pas choquer les empereurs, le christianisme s’écria, il y a dix-huit cents ans :

Rendez à César ce qui est à César.

Il ne se réserva que la domination de l’âme de chacun ; mais Lucius, philosophe païen, lui répondait :

« L’homme qui vole est coupable ; mais la société qui a exposé un de ses membres à la tentation prolongée de voler a une grande part dans la faute commise contre le bonheur général. Si l’individu a manqué de force, la société a manqué de prévoyance. »

Votre principe Rendez à César n’est donc qu’une concession de prudence pour votre intérêt privé, à vous prêtres ; ce n’est pas une vérité digne d’être présentée à l’humanité.

Les jésuites ont vu l’absurdité de ce mot, et, en gens conséquents, ils se sont emparés du confessionnal des princes chrétiens et ont gouverné. (Voir Saint-Simon.)

L’association (de Fourier) fait des pas immenses ; mais, comme Fourier n’avait aucune élégance et n’allait pas dans les salons, on ne lui accordera que dans vingt années son rang de rêveur sublime ayant prononcé un grand mot : Association. Fourier, vivant dans la solitude, ou, ce qui est la même chose, avec des disciples n’osant faire une objection (d’ailleurs il ne répondait jamais aux objections), n’a pas vu que dans chaque village un fripon actif et beau parleur (un Robert Macaire) se mettra à la tête de l’association, et pervertira toutes ses belles conséquences. Il n’en est pas moins vrai que la concurrence qui existe