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MÉMOIRES D’UN TOURISTE.

nos maîtres, mais nos messieurs ; ils ne disent plus : je suis au service ; mais je suis en condition. Mon nouvel ami voit dans ces locutions nouvelles l’approche de la république. Si jamais l’on établit le seul chemin de fer raisonnable, celui de Paris à Marseille, en dix ans le patois provençal et le patois languedocien cessent d’exister. Pour ma part, je regretterais beaucoup le patois languedocien. Toutefois je ne me fais pas illusion, c’est par suite d’une erreur d’optique que les patois semblent plus naïfs et plus aimables que les langues employées pour les choses tristes et raisonnables de la vie. Si l’on ne pouvait parler aux femmes qu’une certaine langue, fût-ce l’allemand de Vienne, cette langue nous semblerait bientôt l’emporter en grâce sur toutes les autres.


— Béziers, le 12 septembre 1837.

Du dernier relais à Béziers, le pays est joli. Cette petite ville a une belle position sur une hauteur, de laquelle on domine le canal de Languedoc et une quantité d’écluses par lesquelles il descend à la Méditerranée.

J’ai remarqué à la grand’messe, dans les villes où je me suis trouvé le dimanche, que l’on ne chante pas le Domine, salvum fac regem Philippum. J’ai demandé des explications ; on me dit que messieurs les curés se déterminent à chanter ces mots dans les grandes occasions, ou lorsqu’il y a des indiscrets qui peuvent porter plainte ; mais rien ne serait de plus mauvais ton en toute autre circonstance.

Tous les prêtres que je rencontre me semblent des fils de paysans ; les gens comme il faut les protègent fort ; mais il serait difficile de faire une partie de whist avec le curé du village.

Le métier de ces messieurs est pénible, sans doute, à cause des visites qu’il faut faire aux mourants, à pied et souvent par un très-mauvais temps ; mais il faut en convenir, tout cela est moins dur que le métier de moissonneur ou de laboureur qu’ils ont vu faire à leurs pères. M. C…, riche propriétaire très-fort