Page:Stendhal - Mémoires d’un Touriste, II, Lévy, 1854.djvu/339

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
333
MÉMOIRES D’UN TOURISTE.

et Boucher. J’ai parcouru Montpellier en tout sens, et suis fort content de cette ville. Il y avait une statue de Louis XVI, incroyable de ridicule ; je ne l’ai pas revue à ce voyage.


— Montpellier, le 11 septembre 1837.

Je suis allé dans les Cévennes jusqu’à Ganges et Villerangues, avec un négociant du pays. Ces montagnes m’ont semblé fort plates : il est vrai que j’arrive de Vevay. En revenant, nous avons été vivement contre-passés par deux calèches à quatre chevaux, que les postillons menaient au galop. Comme rien n’est plus rare dans ces pays de simplicité qu’une voiture à quatre chevaux, nous avancions la tête pour regarder et saluer ; mais nous avons été mal payés de notre politesse ; on nous a lancé à la figure une quantité de petits livres qui ont été sur le point de nous aveugler.

« Ah ! les maudits momiers ! » s’est écrié mon compagnon de voyage, protestant de la vieille roche, et qui, jusqu’à ce moment, avait évité de me parler de religion. Les hommes sont les mêmes dans tous les cultes, pour peu que ce culte soit ancien et ait perdu l’attrait de la nouveauté. Je crois bien que, du temps de Calvin et de Luther, le protestantisme faisait taire la vanité ; mais aujourd’hui toutes les religions, comme toutes les passions, obéissent à cette passion unique. La vanité de mon ami protestant est profondément blessée de ce que son culte, déjà un peu vieilli, va probablement être anéanti par la réforme, plus sévère et toute nouvelle, de ces jansénistes du protestantisme. Pour compléter la ressemblance, les momiers discutent sans cesse sur la grâce, le Saint-Esprit et le mérite des œuvres. Les œuvres ne sont rien, et nous ne pouvons être sauvés que par les mérites de Jésus-Christ. (La première partie de cette maxime conduit au crime, et son enseignement devrait être défendu par une loi.)

Cette nouvelle religion séduit par une apparence d’égalité entre les fidèles. Ce fut là le grand attrait du christianisme