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MÉMOIRES D’UN TOURISTE.

un peu aperçu le Canigou. Le soir j’ai trouvé le beau monde se promenant sur l’Esplanade, qui tient à la citadelle.

Un savant fort gai, et sinon point pédant, du moins pédant avec une vivacité pétillante, amusante et gasconne, avec qui j’ai eu l’honneur de dîner, voulait absolument me conduire demain à Saint-Guilhem. Il faut voir, m’a-t-il dit, la montagne de Maguelone, où sont les tombeaux de Pierre de Provence, de la belle Maguelone et de leurs enfants, personnages à moi connus, si je ne me trompe, uniquement par don Quichotte.

Je me suis promené trois heures dans les rues de Montpellier ; j’y ai trouvé beaucoup de gaieté et de vivacité ; il y a des maisons élégantes. Cette ville ne doit point attrister les malades qui viennent y chercher la réunion si rare de médecins célèbres et d’un beau climat. Au fond, le grand mérite de Montpellier est de n’avoir pas l’air stupide, comme les autres grandes villes de l’intérieur de la France : Bourges, Rennes, etc. Montpellier est la patrie de deux grands ministres, que Napoléon eut le bonheur de rencontrer et d’apprécier : les comtes Daru et Chaptal, gens comparables à Colbert.

On ne peut pas être une heure à Montpellier sans qu’on vous parle du musée Fabre, situé sur l’Esplanade. Ce musée a de bons tableaux italiens, et l’édifice qu’on a bâti pour les recevoir n’est pas mal.

M. Fabre, de son vivant, savait faire valoir la marchandise ; je supplie qu’on me passe ce terme de mon métier, qui exprime si bien ma pensée.

Le sombre Alfieri, le poète aristocrate par excellence, qui se croyait libéral parce qu’il abhorrait tout ce qui était plus haut placé que lui dans l’échelle sociale, enleva sa femme au dernier des Stuarts ; il vivait avec elle à Florence, et devait terriblement l’ennuyer. M. Fabre, petit peintre admis dans la maison, finit, dit-on, par faire mourir Alfieri de jalousie.

Alfieri, en imitant le Dante, moins la grâce, a souvent bien exprimé la haine, sentiment qui dominait dans son cœur. Ses