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MÉMOIRES D’UN TOURISTE.

pour six ans, avec carte blanche. Mais, si on ne trouve ni un Davoust, ni un Saint-Cyr, ni un Daru, jamais le Français colon ne fera rien qui vaille. Imprudent, audacieux, dominé par un instant de folie et par le désir de se donner un rôle d’un moment, le Français usera toutes ses forces dans un jour ; le lendemain nous en serons au découragement. Il est tout l’opposé de l’Américain : raisonnablement et froidement celui-ci aurait déjà, depuis sept ans, obtenu des résultats à Alger. Ce serait une curieuse histoire, si elle était impartiale, que celle que pourrait écrire un Anglais, homme d’esprit, M. Campbell, par exemple. Son but unique serait de faire faire un pas dans la connaissance du cœur humain ; nous y verrions le détail de tous les traits de courage, de toutes les folies, de toutes les puérilités, dont les Français ont donné le spectacle au monde depuis que la cour de Charles X a eu le caprice de prendre Alger.

L’homme dont on parle le plus à Marseille, c’est Abd-el-Kader ; j’en ai honte pour la France. Un beau jour nous nous réveillerons et gagnerons dix batailles en trois mois. Mais ce beau jour, tous les généraux auront moins de quarante ans, les colonels moins de trente, et les lieutenants seront des fous de vingt-deux ans. On était comme cela en 1796, à l’armée d’Italie ; on n’y eût peut-être pas trouvé mille hommes ayant plus de trente ans ; tous les officiers étaient jeunes. J’ajouterai une parole imprudente : il n’étaient pas gens du monde ; ils avaient encore les passions simples et fortes du peuple ; ils n’eussent pas su se gouverner à la cour.


Nîmes, le.... 1837.

J’ai passé de nuit à Arles et ne puis en rien dire. M. N…., honneur de la Provence, homme rare qui aime à apprendre, et non à montrer ce qu’il sait, m’avait bien donné la note des choses qu’il faut voir ; mais je ne suis point un amateur voyageant pour ses plaisirs ; il faut que j’aille vendre et acheter du fer à Beaucaire. Je ne nomme point cet homme aux pensées profondes,