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MÉMOIRES D’UN TOURISTE.

Mais, quoi qu’en disent ces messieurs, leur métier n’est pas si difficile ; ils connaissent toujours le terrain sur lequel ils combattront leur ennemi, et leurs soldats ont toujours avec eux leur dîner, leur lit et leur hôpital.

Ces messieurs n’ont pas l’ennui des garnisons. En temps de paix, leurs ennemis principaux, les vents et les tempêtes, les attaquent sans cesse.

Il serait difficile d’être plus poli que les officiers que nous avons rencontrés ; il n’y a plus de ces marins de théâtre qui disent corbleu !

À vrai dire, il n’y a plus de tournure d’états en France. Ce grand jeune homme, à l’air riant, qui se balance sur sa chaise, devant Tortoni, c’est un procureur. Le seul état qui gâte encore un peu son homme, c’est celui de savant. Ce petit vieillard qui, dans la diligence de Versailles, regarde avec satisfaction sa rosette d’officier de la Légion d’honneur et qui a l’air pédant et si content de soi, c’est nécessairement un membre de l’institut.

À cette exception près, chacun est affecté en France en raison directe de son peu d’esprit et de la masse d’argent et d’importance sociale qu’il possède.

Un homme aisé, dont la mise tient un juste-milieu entre celle du perruquier et celle d’un acteur retiré, nous disait un jour : « Un homme est bien mis si au moment où il vient de sortir d’un salon personne ne peut dire comment il était mis. » Il en est de même des manières, et j’oserai dire du style. Le meilleur est celui qui se fait oublier et laisse voir le plus clairement les pensées qu’il énonce ; mais il faut des pensées, vraies ou fausses.

Les pensées contrarient les sots, qui essayent vainement de les comprendre, et dont l’habitude littéraire consiste à admirer les formes de style. Tel provincial, devenu puissant, déclare fort mal écrit tout livre qui a des pensées claires, énoncées en style simple ; mais les tournures emphatiques le ravissent : MM. Marchangy, Salvandy, Chateaubriand, sont ses héros. Le néologisme