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MÉMOIRES D’UN TOURISTE.

quelque acteur de mélodrame qui aurait comme vous une chevelure noire et la vue basse ? il lui faudrait, de plus, quelque ressemblance avec les mauvais portraits de vous que l’on vend sur le boulevard ?

— Et qu’en ferais-je ? dit Talma, étonné d’une aussi longue question.

— Vous l’enverriez en province à votre place, et il aurait plus de succès que vous.

L’empereur se fâcha presque de cette appréciation artistique de la grande nation. Cette grande nation savait alors vaincre et gouverner les peuples ; depuis qu’elle s’est défaite de cette mauvaise habitude, elle a voulu étudier les beaux-arts. Tel jeune homme, qui eût été sous-préfet à Hambourg ou à Rome, fait des articles pour les Revues. Mais les gens d’esprit qui ont de belles armoiries, et qui veulent que les prêtres assouplissent un peu les paysans et les rendent faciles à gouverner, ont persuadé à la grande nation qu’elle aime l’art gothique, et c’est pourquoi nous la voyons à genoux devant l’ogive et les belles vitres coloriées.

Mais pour revenir aux statues grecques, comment les provinciaux pourraient-ils les goûter, eux qui préféreraient au besoin le Louis XIV de la place de Bellecour à Lyon au Marc-Aurèle du Capitole ? Et il y a bien plus loin de l’art français à l’art romain, que des statues romaines aux statues grecques.

La Rome moderne elle-même, qui possède de si belles choses en fait d’art, n’a tout au plus que trois ou quatre statues grecques, et encore elle laisse la plus belle de toutes, peut-être, exposée aux injures de l’air, au coin du palais Braschi ; c’est le Pasquino ou Ménélas, soutenant le corps d’Ajax.

D’après l’antiquité, la richesse et les relations étendues de Marseille, cette riche colonie des Phocéens, contemporaine de Rome, on pourrait s’imaginer que son musée contient beaucoup d’échantillons de l’art grec, découverts dans son territoire. Il n’en est rien ; la plupart des marbres grecs qui décorent ce musée n’ont rien de commun avec les anciens colons phocéens et