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MÉMOIRES D’UN TOURISTE.

jusqu’aux allées de platanes plantés sur la belle colline, au nord de cette rue.

Comme vous le savez déjà, la Marseille nouvelle, à l’orient de la Canebière, se compose de deux grandes rues : Paradis et Saint-Féréol, parallèles au Cours et à la rue de Rome, sa continuation. Elles sont coupées à angle droit par de belles rues transversales. Au bout de la rue Paradis se trouve la préfecture, bien située, dans un quartier de bon ton, et à côté d’une jolie place tranquille, plantée d’arbres.

Plus près de la Canebière et à l’extrémité de la rue Beauvau, est une jolie petite place, où l’on a bâti, vers 1780, une salle de spectacle, dans le mauvais goût d’architecture du temps. Cette salle de Marseille ressemble à celle de Bordeaux, à celle de Nantes, et surtout au triste théâtre de l’Odéon à Paris ; on aperçoit de même un vilain toit par-dessus la façade.

Comme je regardais cette façade du théâtre de Marseille, mes yeux s’arrêtent sur l’affiche, que je ne puis pas bien lire. Ces marauds de provinciaux, me disais-je, ne savent pas même l’orthographe, sur l’affiche il y a Sémiramide.

Une idée me luit, je m’approche avec transport, c’est en effet la Sémiramide de Rossini, annoncée pour ce soir à sept heures. Aussitôt toutes mes idées changent.

D’abord, il faut me déprier à dîner chez l’homme obligeant qui m’a prêté son cheval avant-hier ; un moment je suis tenté de lui dire tout bonnement la vérité. Mais, par bonheur, je me souviens du mot de M. de Talleyrand aux jeunes secrétaires d’ambassade : Méfiez-vous du premier mouvement ; il est toujours généreux.

J’ai parbleu bien fait ; il ne faut jamais s’aviser d’être sincère avec les provinciaux, en choses qui peuvent intéresser leur susceptibilité. Ils s’imaginent qu’un homme arrivant de Paris : 1° pense à eux ; 2° cherche à se moquer de leur personne.

J’ai ramené mes cheveux sur le front, j’ai démesurément élargi ma cravate, et je suis allé déclarer d’un air dolent, à mon