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MÉMOIRES D’UN TOURISTE.

nage ; les perroquets et les autres oiseaux en sont quittes pour être lavés avec du vinaigre.

Je pourrais continuer à transcrire les règlements fort compliqués du lazaret ; mais je n’ai voulu qu’en donner une idée aux voyageurs assez mal avisés pour arriver du Levant à Marseille. Mais enfin, quand on a eu ce malheur, il faut acheter le règlement et le bien étudier ; il faut se montrer fort gai, faire venir de bon vin et en offrir aux gardiens ; les gardiens marseillais croient facilement que le voyageur triste a la peste.

Il n’y a de réellement dangereux que la contrebande ; ce fut par la contrebande que la peste s’introduisit jadis à Toulon et à Arles. Il m’est arrivé d’entrer à huit heures du soir dans un port que je ne nommerai pas ; les matelots jetèrent l’ancre et allèrent tous coucher dans leurs maisons à terre ; le lendemain ils revinrent avant le jour, subirent longtemps toutes les interrogations du bureau de santé du pays ; et enfin nous fûmes admis en libre pratique à huit heures.

Ce qu’il y a de plus simple, lorsqu’on a le malheur d’être en quarantaine, c’est d’entreprendre l’étude d’une langue. Il faut choisir un auteur dont le style soit simple, par exemple Hume pour l’anglais, ou l’Histoire de Toscane de Pignoti, pour l’italien. On apprend par cœur une page le matin et une page le soir, et si l’on a la précaution de ne lire aucune grammaire, après vingt jours de quarantaine on sait la langue de façon à lire un roman avec plaisir. J’ai connu de pauvres dupes qui ont fait cinquante jours de quarantaine à Marseille.

Si un homme de l’équipage vient à mourir pendant la quarantaine, le bureau de santé a le plaisir vif de la faire recommencer.

Je dînais hier chez M. de L… ; on a beaucoup parlé d’un Français de Paris qui a voulu faire un voyage de plaisir à Constantinople. Il en est revenu en seize jours ; mais il est actuellement retenu au port Dieu-Donné, de l’île de Pomègue, et l’on calcule qu’il peut fort bien y rester jusqu’en janvier prochain,