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ŒUVRES DE STENDHAL.

autre absurdité prend naissance à Paris. Les quatre mille élèves en médecine qui étudient une science raisonnable dans cette ville de l’esprit, voulant avoir quelque chose de neuf à dire, ont inventé que la peste et plusieurs autres maladies fort connues ne sont pas contagieuses. En France il n’y a point de vérités : il n’y a que des modes ; il est donc parfaitement inutile de démontrer qu’il est utile de faire telle ou telle chose. Mais n’est-il pas bien plaisant de voir une absurdité se charger d’en combattre une autre ? En 1847, le terrible bureau de la Santé à Marseille n’imposera-t-il plus que des quarantaines raisonnables (après le cas de mort pendant la traversée), ou bien la peste aura-t-elle perdu le plus beau fleuron de sa couronne : la contagion ?

L’histoire du moyen âge est remplie d’effets de ce genre ; une absurdité n’est point corrigée par la raison (qui se passionnerait pour la pauvre raison ?). Mais elle est emportée en vingt-quatre heures par une absurdité contraire.

Voulez-vous voir le moyen âge ? Regardez l’Espagne ; les libéraux ont l’absurdité d’ôter aux provinces basques des privilèges nuisibles à ces provinces, et ces provinces se battent, parce que leur ôter des privilèges commerciaux absurdes, et dont leurs capitales se sont dégoûtées, c’est évidemment attaquer leur religion.

Voilà à quoi mène la cessation du pouvoir du clergé et de la noblesse dans les pays qui n’ont pas été préparés par la mode de lire Voltaire et Rousseau. Voyez ce que la liberté produit à Mexico et à Lima : une envie forcenée contre les Européens qui travaillent et par leur travail font fortune.


— Marseille, le…

Je suis allé au lazaret en passant sous la porte de Jules César ; j’ai suivi le boulevard des dames ; en ce lieu, les dames de Marseille donnèrent des preuves d’une bravoure vraiment singu-