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MÉMOIRES D’UN TOURISTE.

roi, moyennant six millions, l’arsenal des galères ; ce fut alors qu’on envoya les galériens à Toulon. Les rues bâties sur le terrain de l’Arsenal sont bien alignées, bien pavées, bordées de trottoirs, mais sans physionomie aucune ; elles ressemblent aux rues modernes de Bordeaux, de Berlin, de Pétersbourg, de Vienne, de Munich, etc.

C’est une fatalité : le manque de physionomie semble s’attacher à tout ce qui est moderne ; tout nous précipite, comme à l’envi, dans le genre ennuyeux.

Trois rues principales partent de la Canebière, et s’étendent parallèlement à la rue de Rome, qui continue le cours jusqu’à l’obélisque. On sort par la porte de Rome pour aller à Toulon et aux jolies villa situées sur l’Huveaune. Ces trois belles rues sont coupées à angles droits par un grand nombre d’autres rues transversales, ce qui forme de grands massifs de maisons qu’on nomme îles. Ces différentes îles sont numérotées, et les maisons qui les composent portent aussi un numéro particulier. Cet usage que j’ai retrouvé en plusieurs villes de Provence est peut-être un reste de la civilisation romaine, que les papes avaient apportée à Avignon. Rome antique était divisée en quartiers, comme Rome moderne en rioni.

Celle des rues qui est la plus voisine du fond du port a pris le nom de M. de Beauvau, qui était gouverneur de Marseille lorsqu’on la construisit.

À l’extrémité de la rue Beauvau, on trouve la salle de spectacle, et à gauche de la rue Beauvau la place Royale, où se voit une fontaine construite depuis peu et à grands frais. C’est peut-être le plus laid monument de France.

À gauche du terrain sur lequel on a bâti la salle de spectacle, était l’antique abbaye de Saint-Victor, habitée par cinq mille religieux. La sainteté de ce cloître avait fait donner au lieu qu’il occupait le nom de Paradisus, et ce nom se retrouve dans la rue qui lui a succédé, rue de Paradis.

Mais je m’aperçois que je me laisse entraîner par le plaisir