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MÉMOIRES D’UN TOURISTE.

affiché parmi les objets à vendre : Bastide avec ombre. Cette ombre est celle que l’on trouve autour de la maison, en tournant avec le soleil et se plaçant du côté opposé. Huit ou dix oliviers chétifs, cinq ou six acacias parasols, gros comme le bras, forment la verdure de la bastide ; mais il y a là un arbre mort de trente pieds de haut, qui fait toute la joie du propriétaire. Là est sa chasse.

Il se construit une cabane en fagots d’épines, à vingt pas de son arbre mort ; il s’y tapit dès quatre heures du matin, et il attend patiemment qu’une grive vienne se poser sur l’arbre mort Quelquefois, de quatre heures du matin à midi, il a le bonheur de tuer jusqu’à trois grives ; il les marque aussitôt sur une ardoise placée dans la cabane. À la fin de la saison, il fait l’addition, et la proclame à la Bourse.

Ce plaisir a beaucoup de rapports avec la pêche à la ligne. Les fusils sont placés artistement à certains petits trous pratiqués dans les fagots qui forment les murs de cette rustique construction. En attendant sa grive, le Marseillais lit son journal, quelquefois un roman. Il jure quand il entend tirer dans les postes voisins. On appelle poste la réunion de l’arbre mort et de la cabane. Voilà M. un tel, s’écrie-t-il, qui m’enlève le gibier !

J’ai eu l’honneur de tuer ce matin deux ou trois roussettes. C’est un petit oiseau vert et jaune, pour lequel on m’a fait lever à une heure indue.

À chaque fois on me disait : — Ah ! ce n’est pas un tourd, nom de l’oiseau par excellence qu’il faut tuer. Au pied de l’arbre mort sont cinq ou six cages remplies d’oiseaux captifs qui appellent les autres.

Il faut convenir qu’on jouit délicieusement du beau climat dans ces cabanes de bois mort, que la brise de mer pénètre dans tous les sens. Il règne là un délicieux silence ; de ces silences qui font qu’on entend son âme ; on y goûte une liberté complète ; les soucis ne pénètrent point dans ce paisible réduit. Quand on donnerait des millions à un Marseillais pour habiter Paris, je