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ŒUVRES DE STENDHAL.

tide, et il fit bâtir le gros fort Saint-Nicolas, aux trois quarts détruit lors de la révolution de 1789.

Ce matin, jour de dimanche, on m’a fait remarquer un portefaix qui allait à sa campagne en cabriolet. Les campagnes de ces messieurs sont situées au village d’Endoumes, sur la côte, à l’orient du port, vers le château Borelli.

Les portefaix de Marseille ont des hommes agissant sous eux et fort méprisés du peuple, qu’on appelle les Génois. Ces portefaix s’arrogent de singuliers privilèges. Un négociant reçut, il y a quelques années, un bâtiment chargé de grain ; les prix ayant changé, il voulut réexporter le grain, et faire sortir le bâtiment du port ; mais les portefaix s’y opposèrent ; ils demandèrent que le blé fût déchargé par eux et ensuite rechargé : il fallut obéir.

À Marseille, on déjeune à midi, et on dîne à sept heures.

Hier, au sortir de la Bourse, nous primes une barque, et allâmes nous baigner à l’anse du Faro. Après le bain, nous vînmes dîner chez Polycard, à la Réserve, vers l’entrée du port.

Autrefois on ne jetait pas de filets en ce lieu, qui était réservé pour la pêche des clovis et autres fruits de mer. Avant la révolution, on avait pratiqué là, contre le mur du fort Saint-Nicolas, une toute petite guinguette dont chaque chambre portait le nom d’une ville : Hambourg, Naples, Rome, etc. Ce lieu devint célèbre par les rendez-vous ; on y arrivait en barque, loin des yeux du public ; on se donnait rendez-vous à Rome, à Naples, etc. Cette phrase est restée dans la langue du pays ; et comme je ne la comprenais pas, on a bien voulu m’expliquer son origine.

Les bastides sont la passion dominante des Marseillais. C’est pour cela qu’il n’y a pas de spectacle le samedi. Ce jour-là, dès que la Bourse est finie, chacun s’enfuit à sa bastide ; ceux qui n’en ont pas vont chez un ami. On m’a encore répété aujourd’hui qu’il y a bien cinq mille bastides dans les environs de Marseille. Ce qui manque à ces maisons de campagne, ce sont les arbres. Beaucoup de bastides se vantent d’avoir de l’ombre, et l’on voit