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MÉMOIRES D’UN TOURISTE.

Les trois mausolées des fondateurs de l’église de Brou : Marguerite de Bourbon, Philibert le Beau, son fils, et Marguerite d’Autriche, femme de ce dernier, offrent la réunion de toutes les impossibilités vaincues.

Cette église a coûté vingt-cinq ans de travail et deux millions deux cent mille francs d’alors, somme énorme. Quelle différence pour la gloire de Brou, si un bon génie eût inspiré l’idée de demander un plan d’église à Michel-Ange, ou deux tableaux à Raphaël !

Au lieu de cela, on a fait faire des gardes d’épée en marbre, sculptées à jour. (Les statues sont assez bonnes ; le sculpteur, qui entendait son métier, savait que la statuaire ne peut vivre que par le nu.)

Depuis trois cents ans, les nudités de Brou ne choquaient personne ; mais, en 1832, les séminaristes de Brou se sont scandalisés, et le marteau a fait justice de tout ce qui offensait leurs chastes regards.

À deux ou trois lieues de Lyon, on trouve une allée d’arbres qui suit les bords du Rhône, et vous introduit dans la seconde ville de France.

Le bateau pour Avignon ne partant que demain matin, j’ai employé la soirée à revoir Fourvières.

À la nuit, je suis entré au spectacle. Comme, grâce au ciel, je ne vais jamais à l’Opéra-Comique, j’avais presque oublié ce que c’est qu’une haute-contre française, et surtout une voix haute et aigre de femme, criant un air de bravoure et applaudie à tout rompre.

J’ai quitté la salle après dix minutes. Quelle absence d’idées chez les compositeurs les plus célèbres ! Il faut que la camaraderie musicale soit encore mieux organisée que la camaraderie littéraire. Je ne connais aucune œuvre imprimée qui ait obtenu un aussi grand succès, avec une telle absence d’idées.

Ces opéras français me rappellent toujours un vers d’Horace, que, sans doute, j’applique mal :