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MÉMOIRES D’UN TOURISTE.

vers français d’une bouffonnerie incroyable. Il y a pourtant parmi ces momiers des gens bien élevés et qui n’ont pas d’autre langue maternelle que cette maudite langue française, si moqueuse et si logique. Il y avait aussi sur le bateau les fables de la Fontaine, avec commentaires par Charles Nodier ; nous avons été édifiés des réflexions religieuses et monarchiques qui accompagnent la fable de messire Jean Chouart, ce curé qui allait enterrer son mort au plus vite.

Ce soir, à Genève, je suis allé au spectacle ; il n’y avait là que des bourgeois peu riches, mais dans la ville de Calvin il n’y a pas de canaille. Si quelque spectateur parle trop haut et se conduit mal, il est Français ou Savoyard. La comédie choque la haute moralité des gens du haut. Les gens nés d’un père riche, et qui voudraient bien être salués avec respect par leurs concitoyens quand ils passent dans la rue, se sont donné le mot, dit-on, pour se loger sur le haut du coteau qui, vers le midi, sert de digue au Rhône, au moment où il sort du lac. Ces messieurs habitent généralement la rue qui commence vers l’hôtel de ville et dont les maisons donnent, par le côté opposé, sur la belle promenade de la Treille. Ces maisons sont tout simplement les mieux situées de l’Europe. Je ne vois à leur comparer que l’hôtel Rainville à Altona. D’un côté, elles sont dans une belle ville, et, de l’autre, elles ont immédiatement sous leurs fenêtres la promenade la plus brillante de cette ville ; promenade qui est élevée de trente pieds sur la plaine, et dont les arbres en ont bien soixante.

Je trouve à l’orchestre un réfugié italien ; nous faisons bien vite connaissance ; il me conte des anecdotes incroyables dans le genre biblique et tartufe ; mais cette partie de mon journal imprimé est déjà assez noire, je ne les insérerai point ici. Le parti libéral de Genève se défend vivement contre les gens du haut, et les libéraux sont trop occupés de leurs affaires pour donner dans toutes les exagérations du méthodisme anglais.

Mon réfugié meurt d’ennui ici ; je l’engage beaucoup à faire