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MÉMOIRES D’UN TOURISTE.

Julie. Cette bonne Suissesse avait des défauts de style ; elle écrivait de trop longues lettres ; elle était un peu pédante, sans doute, mais où trouver un cœur comme le sien ? Faut-il le chercher parmi les héroïnes de madame de Staël, de madame Cottin ou de George Sand ?

Mes pensées, comme on voit, étaient bien loin des intérêts d’argent et des idées politiques, presque aussi laides ! Enfin, je ne suis rentré dans les affaires et je n’ai été prendre mes lettres chez mon correspondant qu’à cinq heures du soir. Il est minuit, et je viens seulement de terminer mes lettres de commerce. Les Génevois ont une netteté admirable dans l’esprit ; je croirais assez que leurs discussions politiques augmentent leur talent commercial. Je ne rencontre jamais ici cet esprit de routine étroite qui me désole dans les villes de l’intérieur de la France, Bourges, Rennes, etc.

C’est avec beaucoup de plaisir que j’ai vérifié qu’au fond le gouvernement existant à Genève se conduit fort bien. Véritablement il serait difficile de trouver un pouvoir qui se rapprochât davantage de celui qu’exerce un père de famille. Ces gens-ci auraient peut-être des moyens d’abuser de leur autorité, mais ils n’ont ni la force de caractère qu’il faut pour cela, ni, je l’espère, la volonté.

Le peuple connaît ses droits et y tient fortement. Quelquefois les individus manquent de grâce, ils réclament ce qui leur est dû avec une hauteur dure que, du reste, ne justifient que trop les criantes injustices qu’ils voient passer dans les despotismes voisins.

On peut trouver de la rudesse dans les détails sociaux, mais la politesse politique est-elle autre chose qu’une affaire de convention ? Et à mes yeux rien n’est pis que la mollesse. Il est important que quelqu’un se charge du rôle de Caton l’Ancien ; dans les républiques, un esprit hargneux et inquiet y est souvent à sa place. Un droit non réclamé pendant quatre ans n’existe plus, ou il faut faire la dépense d’un grand effort.