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ŒUVRES DE STENDHAL.

rante-huit heures, il me semble que les aimables habitants de Chambéry méritent encore tout le bien qu’en dit J.-J. Rousseau.

Nous sommes arrivés à Aix en moins de deux heures. J’étais étonné de la quantité de voitures que nous rencontrions sur la route, et, ce qui redoublait mon admiration, toutes ces voitures étaient remplies de femmes excessivement parées. J’apprends, en arrivant à Aix, que c’est aujourd’hui dimanche, ce qui fait que toutes les belles dames de Chambéry accourent au bal que se donnent les baigneurs. Une foule de jolis officiers de la garnison de Chambéry arrivent à Aix en même temps que ces dames. L’un d’eux avait un volume de l’Arioste in-32 ; il l’a perdu dans l’auberge, et on est venu me demander si ce volume m’appartenait.

L’on me dit que ces officiers sont les fils cadets des familles nobles du Piémont. Leurs soldats ont fort bonne mine, et si le roi de Sardaigne daignait jouer un peu la comédie, et lire la fameuse lettre de Paul-Louis Courier à Louis XVIII, il finirait probablement par être roi de toute l’Italie. À une époque de l’avenir plus ou moins rapprochée, ce pays appartiendra au prince qui aura la meilleure armée et affichera les idées les plus libérales. J’ai su que les officiers qui sont en Savoie étudient leur métier et lisent beaucoup les Mémoires du maréchal Saint-Cyr ; ce choix fait leur éloge.

Les eaux d’Aix sont moins légitimistes cette année que les précédentes. J’espérais y entrevoir M. Berryer, dont l’admirable talent rend quelquefois supportables les insipides séances de notre Chambre des députés. Cette année, le coup d’État du roi de Hanovre et la suppression de la constitution de son pays ont conduit les gens qui pensent bien aux eaux du Nord. J’ai remarqué de très-beaux chevaliers d’industrie, arrivant de Paris, et gagnant admirablement au jeu ; l’un d’eux doit se battre demain, et a conduit sa petite altercation avec une grâce noble et chevaleresque qui m’a enchanté. Il serait difficile, au surplus, d’être de meilleure compagnie que ces messieurs.