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ŒUVRES DE STENDHAL.

aveugle et classique des temples d’Athènes, heureux pays où l’on ne connut jamais nos six mois d’hiver, de novembre en avril. Les architectes français, depuis la mort du gothique, n’ont jamais eu le génie d’inventer l’église qui convient à la France.

Il pleuvait justement aujourd’hui, et j’ai passé toute ma journée sous les portiques de la belle rue de Chambéry. Je pensais à la douce Italie ! Tout ce qui a plus de quarante ans et de l’aisance irait habiter ce beau pays si l’on y jouissait d’un gouvernement tel que celui que nous avons à Paris. Le gouvernement de Chambéry a déjà contrarié un de mes désirs : je voulais lire les journaux de France ; on ne tolère ici que la Quotidienne, la Gazette de France et le Moniteur. À chaque instant, en ce pays, on vous demande votre passe-port ; heureux le voyageur qui a un titre et un ruban ! Je renonce à voir les montagnes de la Tarentaise.

Si je ne m’étais juré, et pour cause, de ne jamais écrire des choses politiques, je placerais ici huit ou dix anecdotes que j’ai apprises sous les portiques ; car on parle ici avec une liberté alarmante. Ces anecdotes ont un caractère d’énergie bien rare en France. On sent aussi en ce genre que l’on approche de l’Italie.

Le paysan savoyard n’est pas cauteleux comme un Normand, mais prudent comme un honnête homme qui a peur. Le fond de son cœur est occupé par la religion, mais une religion non méchante ; car son curé aussi est Savoyard, c’est-à-dire bon homme au fond ; il n’est pas comme Tartufe, il n’enseigne pas « à n’avoir affection pour rien. »

D’un autre côté, le paysan savoyard n’agit jamais à l’étourdie comme l’heureux paysan des environs de Paris ; « il n’étend le bras que là où il y voit clair, et ne se mêle d’aucune affaire que lorsqu’il n’aperçoit au travers ni noise avec l’autorité, ni brouille avec ses voisins, ni rapprochement quelconque avec les carabiniers royaux (les gendarmes). »

Au fond, le paysan savoyard est excellant ; si elle eût duré