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MÉMOIRES D’UN TOURISTE.

nos villes de France : une salle de spectacle charmante et une belle rue avec des arcades des deux côtés.

La première nécessité pour une ville, c’est un portique où l’on puisse se promener en paix quand il fait du vent ou de la pluie. Ce qui peut montrer aux moins attentifs l’ânerie incroyable et héréditaire des maires et échevins de France, c’est que cette promenade couverte manque presque partout. C’est le goût classique dans toute sa nigauderie. Au lieu de se dire : Mais de quoi avons-nous besoin réellement ? On se demande ; Qu’a-t-on fait de joli dans les autres villes ? On imite un modèle approuvé ; on aurait trop grand’peur d’être sifflé, si l’on faisait quelque chose qui, par malheur, ne serait pas une copie. Les échevins font un théâtre à colonnades, comme à Nantes ou à Bordeaux, au lieu d’une bonne et simple promenade couverte, comme à Dol, en Bretagne.

Mais les colonnes de la rue de Dol sont toutes gothiques, ce qui montre que cette rue a été faite à une époque de bon sens. Varèse, en Lombardie, Brescia, etc., ont d’excellents portiques à droite et à gauche du théâtre, portiques bien bas et où la pluie ne peut pénétrer, quelque vent qu’il fasse. Un lieu si commode devient bientôt le rendez-vous de tout ce qui s’ennuie et veut se distraire un jour de pluie ; il s’y établit des cafés, des boutiques de luxe, des cabinets littéraires, et l’on va passer là une heure ou deux quand il fait une bise noire et qu’on s’ennuie chez soi. Mais, dira-t-on, à Paris, le portique de la rue de Rivoli ne réunit point tous ces avantages. Je le crois bien. D’abord le portique de Paris doit être situé entre la rue de la Ville-l’Évêque et la rue Montmartre, de façon à avoir le soleil de midi à quatre heures ; il faut qu’il soit rempli de boutiques à louer et qu’il ait, s’il se peut, une salle de spectacle.

En second lieu, le portique de la rue de Rivoli est exposé au vent d’ouest, qui, à Paris, règne cinq fois la semaine ; de façon que, quand il pleut, on y est complètement mouillé. Les portiques de la Bourse et de la Madeleine ne sont qu’une imitation