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ŒUVRES DE STENDHAL.

Enfin j’ai fini mes affaires avec les gens de ces pays-là. Le Dauphinois réfléchit longtemps avant d’agir ; de là sa supériorité sur les peuples qui l’entourent. Peuples est trop emphatique, mais le fait est que les populations du Lyonnais, de la Provence ou de la Savoie ne ressemblent en aucune façon au sagace habitant des montagnes du Dauphiné.

M. Casimir Périer, connu de toute la France, fut une empreinte assez exacte, quoique peu élégante, du type dauphinois ; il savait vouloir, et le voisinage du danger ne troublait point son jugement. Mais le mot sacrifice à la patrie n’offrait peut-être pas une image bien séduisante à ce fin Dauphinois.

Je trouve qu’on dîne fort bien à Chambéry ; incomparablement mieux qu’à Grenoble. Mon correspondant m’a régalé au cabaret. Pendant le dîner, dans un cabinet à peine séparé de la salle commune par une légère cloison, il m’a parlé avec une franchise qui m’a fait frémir pour lui. Je n’ose répéter ses anecdotes. Après le dîner, M. N… m’a conduit aux Charmettes. Ce domaine consiste dans un assez joli petit bois, qui garnit un vallon qui va en montant le long d’un ruisseau. Mais il est impossible de voir ce lieu tel qu’il est réellement ; la sensation causée par le récit de J.-J. Rousseau s’interpose, à chaque moment, entre la réalité et nous.

Le soir, société et femmes fort aimables. Un ami de mon compagnon de voyage m’attaque. — Convenez, monsieur, me dit-il, que c’est un signe bien fâcheux quand on voit la majorité du peuple ne pas suivre sa religion. — La religion de l’immense majorité des Français consiste à se faire baptiser, à se faire marier à l’église, et du reste à n’y aller jamais. On ne peut nous accuser de ne pas suivre exactement cette religion. De plus, bonnes gens que nous sommes ! nous payons le clergé à l’image de ceux qui ont recours à ses bons offices.

J’ai compris tout de suite que j’étais près de la belle Italie. Chambéry a deux monuments que l’on chercherait en vain dans