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ŒUVRES DE STENDHAL.


— Vizille, le 21 août.

Y eut-il deux assemblées politiques à Vizille, ou une seule ? C’est ce que personne à Vizille n’a pu m’apprendre. Le plus riche propriétaire du pays me dit : Consultez Montgaillard (cette histoire de la révolution, si menteuse).

Voyez d’après cela le cas qu’il faut faire de la tradition. Le peuple garde souvenance des récits souvent répétés ; mais ce qu’il ne fait que voir, il l’oublie bien vite ; Montgaillard dit que c’est dans la salle du jeu de paume du château de Vizille que se tint, le 21 juillet 1788, l’assemblée des trois ordres du Dauphiné. M. Meunier, secrétaire de l’assemblée, rédigea les délibérations unanimes qui réclamaient avec fermeté : 1° Le rétablissement des anciens États de la province ; 2° l’éligibilité de tous à toutes les places ; 3° la double représentation du tiers état ; 4° l’abolition des privilèges pécuniaires de la noblesse et du clergé ; 5° le système de monarchie représentative.

C’était du vrai courage en 1788, près d’une année avant l’ouverture des états généraux à Versailles ! C’était de plus de la vraie sagesse ; c’est encore ce que nous voulons aujourd’hui, après quarante-neuf années d’efforts et de promesses trompeuses.

Sur la porte d’un pavillon que Lesdiguières bâtit dans son parc de Vizille, on m’a fait remarquer un bas-relief : ce sont deux poissons placés en sautoir, et qui peuvent avoir un pied de long ; au-dessous il y a une tête coupée. Le connétable, ayant trouvé un homme qui péchait dans son parc, lui fit trancher la tête, et fit placer cette pierre au-dessus de la porte. De tels souverains agissent sur le moral des peuples plus que vingt êtres timides comme Louis XVI.

Le château et le parc appartiennent à MM. Périer, parents du ministre. Tout le monde à Vizille parle des vertus et de la bienfaisance de madame Adolphe Perrier ; les ouvriers l’appellent leur mère. Madame Périer est petite-fille du général Lafayette. J’ai entrevu de loin une jeune femme de la tournure la plus no-