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MÉMOIRES D’UN TOURISTE.

leurs passions. Ce petit peuple était tellement éloigné de la cour que Richelieu ne put le dompter entièrement ; d’ailleurs il fallait ménager ces gens opiniâtres, si voisins des ducs de Savoie, qui alors étaient quelque chose.

Il est résulté de tout cela que les passions politiques du Dauphinois ont presque toujours été excitées, et qu’il reçoit avec méfiance les ordres qui lui arrivent de Paris ; mais la cour de Louis XVI n’était pas de force à comprendre ces choses-là.

Dans une seconde assemblée à Vizille, tout à fait révolutionnaire, et qui, sous Louis XIV, eût conduit les principaux bavards à l’échafaud, on posa les bases des cahiers. M. Mounier loua beaucoup le système anglais : Barnave parla et enflamma tous les cœurs. M. Mounier avait plus de science ; Barnave, jeune homme paresseux et d’un caractère fougueux, fut plus éloquent. Sa vie si courte a été marquée par deux fautes qui ne sont que des saillies de la passion. Un homme né à Paris ne commet pas de ces fautes-là. On m’a promis ce soir de me faire voir deux excellents portraits de Barnave, qui sont chez sa parente, madame la comtesse Marchand.

Je ne conçois pas comment les Grenoblois n’ont pas donné le nom de Barnave à une de leurs rues. Je suppose que ce grand homme, qui périt en 1795, a encore des envieux dans sa patrie. Lesdiguières, ce fin renard, comme l’appelait le duc de Savoie, habitait ordinairement Vizille, et y bâtit un château. Là se tinrent une ou deux assemblées factieuses des Dauphinois. Au-dessus de la porte principale, on voit la statue équestre en bronze de Lesdiguières ; c’est un bas-relief. De loin, les portraits de Lesdiguières ressemblent à ceux de Louis XIII ; mais en approchant, la figure belle et vide du faible fils de Henri IV fait place à la physionomie astucieuse et souriante du grand général dauphinois, qui fut d’ailleurs un des plus beaux hommes de son temps.