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ŒUVRES DE STENDHAL.

gorges (c’est un mot du pays qui veut dire vallon étroit). Ces gorges sont peuplées de frênes fort élancés, de châtaigniers et de magnifiques noyers de quatre-vingts pieds de haut ; le noyer est l’arbre de la vallée de l’Isère.

Je ne conçois pas en vérité qu’un tel pays soit resté inconnu. Louis XII, charmé « par la divinité de ses plantemens, par les tours en serpentant qu’y fait la rivière de l’Isère, l’appela le plus beau jardin de France[1] » (lors de son voyage en 1507).

Je n’ai rien trouvé de pareil en Angleterre, ni en Allemagne ; en France, je ne connais de comparable que les environs de Marmande. Il est vrai qu’il me reste à voir la Limagne d’Auvergne. Je ne vois de plus beaux paysages qu’en Lombardie, vers les lacs, sur la ligne qui passerait par Domo d’Ossola, Varese, Como, Lecco et Salo. Mais, dans ces pays-là, on est vexé par la police de M. de Metternich ; tandis que l’on peut aller en cinquante-trois heures, et sans montrer son passe-port, de Paris à Montbonot.


— Grenoble, le 12 août.

On m’a conduit ce matin au château de Montbonot, qui appartient à un homme aimable et savant. Ce château couronne une jolie petite colline qui avance vers l’Isère. C’est sans doute la plus belle position de la vallée. D’un côté la vue s’étend jusque près de Saint-Egrève, Noyarey, le pont de Claix, et de l’autre jusqu’aux environs du fort Barreaux. Mais comment décrire ces choses-là ? il faudrait dix pages, prendre le ton épique et emphatique que j’ai en horreur ; et le résultat de tant de travail ne serait peut-être que de l’ennui pour le lecteur. J’ai remarqué que les belles descriptions de madame Radcliffe ne décrivent rien ; c’est le chant d’un matelot qui fait rêver.

Je ne puis que dire au voyageur : Quand vous passez par Lyon, faites vingt lieues de plus pour voir ces aspects sublimes.

  1. Guy-Allard, Histoire de Humbert II, ce pitoyable Dauphin qui céda ses États à Philippe le Bel en 1349.