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MÉMOIRES D’UN TOURISTE.

mençais réellemenl à entrevoir les différences de certaines qualités. Tout le monde connaît le vin de la comète, qui annonça la chute de Napoléon en 1811 ; il y a ainsi tous les cinq ou six ans une année supérieure.

En général, les vins de ce pays se boivent en Belgique. Le propriétaire du Clos-Vougeot peut tromper ses chalands ; il n’aurait qu’à faire répandre sur sa vigne du fumier de cheval, elle produirait beaucoup plus, mais le vin serait d’une qualité inférieure. Une bouteille du Clos-Vougeqt, qui se vend dix francs à Paris chez les restaurateurs, ne se vend pas, mais s’obtient sur les lieux, par insigne faveur, au prix de quinze francs. Mais, il faut l’avouer, rien ne lui est comparable. Ce vin n’est pas fort agréable la première et souvent la seconde année ; aussi les propriétaires ont-ils toujours une réserve de cent mille bouteilles.

La poésie, avec ses exagérations aimables, s’est emparée de ce sujet si cher aux Bourguignons ; et ce soir, dans son enthousiasme, mon correspondant de Beaune m’a promis de me faire boire une bouteille de vin du Clos-Vougeot provenant encore de l’abbaye de Cîteaux. Mais comment croire à cette vénérable antiquité, si après douze ou quinze ans ce vin commence à perdre ?

Du temps des moines, fins connaisseurs et qui ne vendaient pas, le clos produisait moins et le vin valait mieux ; mais de nos jours comment résister à la tentation de fumer un peu une vigne dont chaque bouteille se vend quinze francs ? Il est bien exact qu’on donne aux vendangeurs d’excellents dîners et surtout des mets auxquels ils ne sont pas accoutumés, afin de leur ôter l’idée de manger du raisin.

Les vins de Nuits sont devenus célèbres depuis la maladie de Louis XIV, en 1680 ; les médecins ordonnèrent au roi le vieux vin de Nuits pour rétablir ses forces. Cette ordonnance de Fagon a créé la petite ville de Nuits.

J’apprends que, exactement parlant, la Côte-d’Or finit à Vosnes. Les aimables vins de ce pays ont un mérite nouveau depuis 1830 : à table, les Bourguignons ne parlent que de leurs mérites