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MÉMOIRES D’UN TOURISTE.

leil, cherche à faire des vins de France. Elle ne peut jamais obtenir que des vins d’Espagne (chargés d’alcool).


— Beaune, le 12 mai.

En repassant par Dijon, j’ai revu le musée en une demi-heure, comme la première fois. On prépare une exposition des tableaux du pays, ils seront plus exagérés et plus empesés que ceux de Paris. On peut juger de l’art en province par les articles de littérature de la Revue des deux Bourgognes, que je viens d’acheter à Dijon. Je n’y ai trouvé de français que les lettres du président de Brosses.

Il y a, ce me semble, deux races d’hommes bien distinctes dans les rues de Dijon, les Francs-Comtois, grands, élancés, lents dans leurs mouvements, à la parole traînante, ce sont des Kimris ; ils font un contraste parfait avec les Gaels, dont j’ai reconnu souvent ici la tête ronde et le regard plein de gaieté.

Heureux les artistes de Dijon s’ils plaisent à la société parlementaire, c’est la classe qui en ce pays forme l’aristocratie ; on lui accorde beaucoup d’esprit.

J’ai vu en courant la grande salle du parlement de Bourgogne, Saint-Bénigne, dont la voûte est à quatre-vingt-quatre pieds d’élévation et le coq à trois cents pieds. Au portail, on voit un bas-relief de Bouchardon ; c’est le martyre de saint Étienne, qui m’a rappelé le portail du midi de Notre-Dame de Paris. Notre-Dame de Dijon est de 1554 ; c’est un gothique très-orné. J’ai remonté sur la haute tour commencée en 1567 par Philippe le Hardi, et achevée par Charles le Téméraire. J’ai fini par la maison de Bossuet ; était-il de bonne foi ?

En courant la poste, j’ai appris des annecdotes curieuses sur M. Riouffe, préfet de la Côte-d’Or vers 1802, et qui fut l’ami de mon père. On connaît son agonie de trente-six heures ; il était plein de courage. Ce préfet, d’un esprit si aimable, et que l’on eût dit né seulement pour faire le charme de la meilleure compagnie, osait résistera l’empereur et répondre vertement aux