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ŒUVRES DE STENDHAL.

gouvernement imbécile, et avec son armée, toujours inférieure en nombre, il a détruit quatre armées autrichiennes.


— Chaumont, le 5 mai.

Les affaires m’ont conduit rapidement des forges du Nivernais aux usines des environs de Chaumont. Ce pays est fort riche en fer : mais en vérité il est si laid, que j’aime mieux n’en pas parler ; je passerais pour mauvais Français. C’est un reproche que je mérite, dans le sens ridicule que Napoléon donnait à ce mot. Je conviens des désavantages de la France : il me semble que je défendrais avec colère ma patrie attaquée par l’étranger ; mais, du reste, j’aime mieux l’homme d’esprit de Grenade ou de Kœnigsberg que l’homme d’esprit de Paris. Celui-ci, je le sais toujours un peu par cœur. L’imprévu, le divin imprévu peut se trouver chez l’autre.

Je ne sens pas du tout chez moi le patriotisme anglais, qui brûlerait avec plaisir toutes les villes de la Belgique pour augmenter la prospérité d’un des faubourgs de Londres.

Chaumont est situé sur un pain de sucre aplati. De la fenêtre de mon auberge, je n’aperçois que des coteaux arides et pelés et trois arbres rabougris, pas davantage, qui ornent ces coteaux. Tout manque à Chaumont, il n’y a pas même d’eau ; on ne peut trouver à acheter ni une volaille ni un pâté chaud. Chaque bourgeois tire ses provisions de sa campagne ; mais il y a si peu d’étrangers qu’un pâtissier y mourrait de faim. Il y a beaucoup de chevreuils, de sangliers et de gibier de toute espèce dans les immenses forêts qui couvrent le sol de ce département ; mais tout cela s’envole chez madame Chevet. Il est triste que Chaumont ne soit pas au milieu d’une de ces forêts.

On m’a dit ce matin : L’assemblée ce soir est chez madame une telle. À cette assemblée on a beaucoup parlé des procédés sauvages des alliés qui occupèrent Chaumont en 1814, lors de la campagne de France. Décidément ces gens-là sont moins civilisés que nous. En Allemagne, vers 1806 ou 1809, quelques comman-