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ŒUVRES DE STENDHAL.

J’ai fait dix lieues cette après-midi avec un gentilhomme de ma connaissance qui habite une belle terre, et augmente rapidement sa fortune par des opérations assez voisines du commerce. Quand il a été animé par deux heures de discussions, qui malgré mes soins retombaient toujours dans la politique, il a fini par me dire :

« Je diviserais nos amis qui vivent à la campagne en deux classes : les abonnés de la Quotidienne et ceux de la Gazette de France. Il faut l’avouer, la Gazette n’est pas comprise à plus de vingt lieues de Paris ; il y a des jours où elle leur semble entachée de traîtrise, etc., etc. »

Voici un dialogue historique entre un chef de division d’une grande préfecture et un maire de campagne, que M. de N… m’a raconté, mais qu’en sa qualité d’homme d’esprit il a sans doute embelli.

LE CHEF.

Eh bien ! monsieur le maire, vous vous en allez bien content !

LE MAIRE.

Du moins, monsieur, pour cette fois, les affaires de ma commune sont-elles terminées : ce n’a pas été sans peine.

LE CHEF.

Vous devriez bien m’envoyer quelque chose.

LE MAIRE, avec la politesse la plus empressée.

Monsieur, je mettrai le plus grand soin à faire les commissions dont vous voudrez bien me charger.

LE CHEF.

Vous n’entendez pas, monsieur. Votre commune n’est-elle pas célèbre par ses fromages ? Envoyez-m’en deux douzaines.

Le maire était indigné ; il n’a rien de plus pressé, en arrivant dans sa petite ville, que de raconter ce dialogue et de se répandre en injures sur la corruption, l’effronterie des commis, etc. Les gens sages du pays se disent : Mais qu’est-ce, après tout, que deux cent quarante francs pour nous qui avons tant d’affaires à la P… La chose est mise en délibération, on écrit le procès-