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MÉMOIRES D’UN TOURISTE.

Ces messieurs prêtent les motifs les plus plaisants à M. Mossé, ne pouvant pas se figurer que le bien public soit un motif. Quant à eux, ils ne nommeront député que l’homme qui jurera de maintenir devant leurs maisons la route royale de Paris à Lyon. Qu’importe que le voyageur arrive vingt minutes plus tard à Lyon ?

Mon essieu ne sera prêt qu’à dix heures du soir ; je retourne à l’église, qui me plaît de plus en plus. Je fais acte de courage, je monte sur la jolie tour, du haut de laquelle je vois coucher le soleil derrière de vastes forêts ; je vois la Loire serpenter à l’infini. Je passe fort bien mon temps ; mon cicérone est homme de sens, et répond clairement à toutes mes questions. Les propriétaires du pays parlent de faire un grand trou entre cette tour et l’église ; au fond de cet escarpement on placerait la route : voilà le projet qu’on oppose à celui de l’ingénieur en chef. Sans doute, m’a dit mon cicérone, l’ingénieur en chef a été acheté par les propriétaires voisins de la Loire.

La grande et foncière différence de Paris avec une petite ville telle que La Charité, c’est qu’à Paris on voit tout à travers le journal, tandis que le bourgeois de La Charité voit par ses yeux, et de plus, examine avec une profonde curiosité ce qui se passe dans sa ville.

À Paris, la foule est-elle rassemblée au bout de la rue, ma première idée est que cette foule va salir mon pantalon blanc, et m’obliger à rentrer chez moi. Si je vois une figure un peu civilisée, je m’informe de la cause de tout ce bruit.

— C’est un voleur, me dit-on, qui vient de sauter par une fenêtre avec une pendule sous son bras.

Bon ! me dis-je, demain je verrai le détail dans la Gazette des Tribunaux.

Voilà un des grands malheurs de Paris, et bien plus, un des grands malheurs de la civilisation, un des plus sérieux obstacles à l’augmentation du bonheur des hommes par leur réunion sur un point. Cette réunion n’a d’avantage que du côté poli-