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3° La Russie ne veut pas que la Servie jouisse de la charte que veut lui donner le prince Milosch, celui de tous les souverains d’outre-Rhin qui sait le mieux son métier.

4° Il y a beaucoup de gens d’esprit en Russie, et leur amour-propre souffre étrangement de ne pas avoir une charte, quand la Bavière, quand le Wurtemberg même, grand comme la main, en ont une. Ils veulent une chambre des pairs, composée des nobles, ayant actuellement cent mille roubles de rente, déduction faite des dettes, et une chambre des députés, composée pour le premier tiers d’officiers, pour le second de nobles, pour le troisième de négociants et manufacturiers, et que tous les ans ces deux chambres votent le budget. L’on n’aime pas la liberté, comme nous l’entendons, en Russie : le noble comprend que tôt ou tard elle le priverait de ses paysans (qui d’ailleurs sont fort heureux) ; mais l’amour-propre du noble souffre de ne pas pouvoir venir à Paris, et de se voir traiter de barbare dans le moindre petit journal français.

Je ne doute pas, continue le capitaine C…, que, avant vingt-cinq ans, ce pays-là n’aie un simulacre de charte, et la couronne achètera les orateurs avec des croix.

On dit à Pétersbourg que le général Yermolof est un homme du premier mérite, peut-être un homme de génie ; on voudrait le voir ministre de l’intérieur. Le général Jomini forme des officiers fort instruits, comme on le verra à la première guerre. Mais ces officiers ne veulent pas passer pour plus bêtes que des Bavarois.

La Russie absorbe les trois quarts des livres français que produit la contrefaçon belge, et je connais vingt jeunes Russes qui sont plus au fait que vous de tout ce qu’on a imprimé à Paris depuis dix ans. Les comédies de madame Ancelot sont jouées à Pétersbourg en français et en russe.


— De la Bretagne, le 3 juillet.

La soirée s’est passée à entendre porter aux nues la féodalité,