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cependant logé au second, dans l’espoir d’éviter le tapage. Mais les provinciaux sont toujours les mêmes ; c’est en vain qu’on espère leur échapper. Ma chambre a des meubles magnifiques, je la paye trois francs par jour ; mais, dès six heures du matin, on m’éveille de la façon la plus barbare. Comme en sortant je disais au premier valet de chambre, d’un air fort doux, que peut-être l’on pourrait avoir une pièce au rez-de-chaussée pour battre les habits, il m’a fait des yeux atroces et n’a pas répondu, et, en vrai Français, il m’en voudra toute sa vie de ce qu’il n’a rien trouvé à me dire.

Heureusement notre correspondant de cette ville est un ancien Vendéen ; c’est encore un soldat, et ce n’est point un marchand. Il a vu le brave Cathelineau, pour lequel j’avoue que j’ai un faible ; il m’a dit que le portrait lithographie que je venais d’acheter ne lui ressemble en aucune façon. C’est avec beaucoup de plaisir que j’ai accepté son invitation à dîner pour ce soir.

Plein de ces idées de guerre civile, à peine mes affaires expédiées, je suis allé voir la cachette de madame la duchesse de Berry : c’est dans une maison près de la citadelle. Il est étonnant qu’on n’ait pas trouvé plus tôt l’héroïque princesse ; il suffisait de mesurer la maison par dehors et par dedans, comme les soldats français le faisaient à Moscou pour trouver les cachettes. Sur plusieurs parties de la forteresse, j’ai remarqué des croix de Lorraine.

Je suis monté à la promenade qui est tout près, et qui domine la citadelle et le cours de la Loire. Le coup d’œil est assez bien. Assis sur un banc voisin du grand escalier qui descend vers la Loire, je me rappelais les incidents de la longue prison que subit en ce lieu le fameux cardinal de Retz, l’homme de France qui, à tout prendre, a eu le plus d’esprit. On ne sent pas comme chez Voltaire des idées courtes, et il ose dire les choses difficiles à exprimer.

Je me rappelais son projet d’enlever sa cousine, la belle Marguerite de Retz : il voulait passer avec elle en Hollande, qui était