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MÉMOIRES D’UN TOURISTE.

que je me garde bien de croire ; je me souviens de la description d’Avignon, en 1739, que donne l’aimable président de Brosses[1] ; les meilleurs tableaux étaient de Mignard et de Parrocel.

Je rencontre beaucoup de vieux soldats : il y a ici une succursale de l’Hôtel des Invalides. Rien de plus judicieux. Le trésor d’un homme de soixante ans, peu riche, n’est-ce pas un beau ciel ? On devrait établir les trois quarts des invalides de France à Antibes, à une lieue du Var et de la frontière, que ces braves gens défendraient en cas de besoin.

Le pain, le vin et la viande y sont à meilleur prix qu’en Avignon, et le mélanborée de Strabon s’y montre moins terrible.

Un Corse, homme de sens, M. N… me dit : L’histoire de France ne commence qu’à Louis XI. De ce moment-là jusqu’ici il y a suite. Avant Louis XI il y a des anecdotes : Charlemagne, Charles V, la Pucelle d’Orléans. Il faudrait qu’un homme d’esprit comme Vertot traduisît en français le savant Sismondi.

Madame d’Arsac, d’Avignon, disait à ses filles : Mesdemoiselles, il ne faut jamais croire au très (au très-beau, au très-méchant ; il n’y a que du médiocre en ce monde.)

Histoire de la jeune créole : Moi connaître.

Au moment où je me croyais sur le point de passer quinze jours à parcourir cette jolie Provence dont je n’ai vu jusqu’ici que le mistral, je reçois à la fois des lettres de Marseille qui m’apprennent que nos affaires d’Alger n’exigent point ma présence à Marseille, et d’autres lettres de Paris qui me montrent qu’en mon absence les affaires de la maison sont menées gauchement et timidement. Je repars ce soir pour le Nivernais où sont ces cruelles affaires. Heureux l’homme qui a de quoi vivre, ou du moins qui est sûr de ne pas se repentir de s’être arrêté dans le chemin d’une petite fortune !

C’est par hasard qu’au moment de partir, et les chevaux déjà attelés, je suis allé voir, derrière le théâtre moderne, une suite

  1. L’Italie il y a cent ans, tom. I, p. 330, édition de M. Colomb.