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MÉMOIRES D’UN TOURISTE.

ou de Saint-Pierre de Rome. Mais le vulgaire des églises gothiques, par exemple les cathédrales de Lyon, de Nevers ou de Vienne, sont pour moi comme des tableaux médiocres ; et quand je vois un savant se passionner pour elles, il me fait l’effet d’un homme qui veut arriver vite à l’Académie. Sentez-vous ainsi ?

Je ne sens bien l’effet d’une église gothique médiocre que lorsqu’il s’agit d’une pauvre chapelle située au milieu des bois. Il pleut à verse ; quelques pauvres paysans réunis par la petite cloche viennent prier Dieu eu silence ; on n’entend d’autre bruit pendant la prière que celui de la pluie qui tombe ; mais ceci est un effet de musique, et non d’architecture.

Au milieu de tant de tombeaux, la plupart ridicules et chargés d’inscriptions plus vulgaires qu’eux encore, s’il est possible, on rencontre tout à coup dans les hauts du Père-Lachaise un tombeau gothique. L’effet de tristesse et de sérieux est sur-le-champ produit ; c’est comme une mesure de la musique de Mozart. L’effet est centuplé si les moulures gothiques sont chargées de neige.

Ce soir, à la table d’hôte de l’auberge de Valence, située dans le faubourg de la route d’Avignon, mon voisin, gros garçon dont je ne sais pas le nom, et auquel je parlais de choses et d’autres (locution de Valence), me dit tout à coup :

— Il faut que vous soyez bien bête, monsieur, de dépenser votre argent à courir la poste d’ici à Avignon ! Fourrez-moi votre voiture sur le bateau qui passe ici demain matin à dix heures, et à trois vous êtes en Avignon.

Ce gros garçon de trente ans aurait été bien étonné si je lui eusse répondu :

— Gardez, monsieur, les qualifications offensantes pour les choses que vous faites vous-même. Je vous rends grâce de vos avis ; mais je vous prie de les garder pour vous, ou de me les donner en d’autres termes.

Je me suis fait homme du Midi, et en vérité je n’ai pas eu grand’peine. J’ai dit tout simplement que je profiterais du con-