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pour moi, et le coiffeur des dames légitimistes pour ma femme. Vous comprenez, messieurs, que je pourrais fort bien me faire la barbe. J’ai deux petits procès que j’entretiens uniquement pour donner occasion de venir à la préfecture au procureur, M. Clapier, l’un des libéraux les plus matois du pays, et à l’avocat, M. Le Beau, personnage éloquent, modéré et pieux, comme les grands propriétaires qu’il sert. Ma place, messieurs, ne tient qu’à un fil ; si je ne suis pas un peu protégé par Son Excellence, je suis le plus malheureux des hommes. J’ai pour ennemi, en première ligne, M. l’évêque ; c’est le plus dangereux. Il n’est pas sans relations avec quelqu’un qui approche de bien près l’oreille de S. M. la reine, et les lettres de Mgr l’évêque ne passent point par la poste. La noblesse dédaigne de venir dans mon salon et me harcèle avec son Henri V et son suffrage universel. J’ai enfin ces malheureux républicains, ils ne sont qu’une poignée et font du bruit comme mille. Le croiriez-vous messieurs ? les fils des familles les plus riches, à mesure qu’ils arrivent à dix-huit ans n’ont pas de honte d’être de ce parti. Dernièrement, pour payer l’amende de 1.000 francs à laquelle j’ai fait condamner le journal insolent qui avait semblé approuver le