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— Que devenir ? manger le bien gagné par mon père, ne rien faire, n’être bon à rien ! Attendre ainsi la vieillesse en me méprisant moi-même, et m’écriant : « Que je suis heureux d’avoir un père qui valut mieux que moi ! » Que faire ? Quel état prendre ?

— Quand on a le malheur de vivre sous un gouvernement fripon et le second malheur, fort grand à mon sens, de raisonner trop juste et de voir la vérité, on s’aperçoit que sous un gouvernement tel que le nôtre, pourri par essence, et plus que les Bourbons et Napoléon, car il trahit constamment son premier serment, l’agriculture et le commerce sont les seuls métiers indépendants. Je me suis dit : l’agriculture me jette au milieu des champs, à cinquante lieues de Paris, parmi nos paysans qui sont encore des bêtes brutes. J’ai préféré le commerce. Il est vrai que dans le commerce il faut supporter et partager certains usages sordides et affreux, par manque de la plus vulgaire générosité, établis par la barbarie du XVIIe siècle et soutenus aujourd’hui par les gens âgés, avares et tristes, qui sont le fléau du commerce. Ces usages sont comme les cruautés du Moyen Âge, qui n’étaient pas cruautés de leur temps, et ne sont devenues telles que par les progrès de l’humanité. Mais