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lui semblaient le manuel d’une femme du grand monde. Ces mémoires chéris lui semblèrent, cette nuit-là, dépourvus de tout intérêt. Il fallut avoir recours à ces romans contre lesquels, depuis huit ans, madame Grandet faisait dans son salon des phrases si morales.

Toute la nuit, madame Trublet, la femme de chambre de confiance, fut obligée de monter à la bibliothèque, située au second étage, ce qui lui semblait fort pénible. Elle en rapporta successivement plusieurs romans. Aucun ne plaisait, et enfin, de chute en chute, la sublime madame Grandet, dont Rousseau était l’horreur, fut obligée d’avoir recours à la Nouvelle Héloïse. Tout ce qu’elle s’était fait lire dans le commencement de la nuit lui semblait froid, ennuyeux, rien ne répondait à sa pensée. Il se trouva que l’emphase un peu pédantesque qui fait fermer ce livre par les lecteurs un peu délicats était justement ce qu’il fallait pour la sensibilité bourgeoise et commençante de madame Grandet.

Quand elle aperçut l’aube à travers les joints de ses volets, elle renvoya madame Trublet. Elle venait de penser que dès le matin elle recevrait une lettre d’excuses. « On me l’apportera vers les neuf heures, et je saurai répondre de bonne