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Grandet, et elles lui eussent été importunes et odieuses. Aussi était-il souvent silencieux et absent. Cette disposition était redoublée par le genre d’esprit peu encourageant des personnes qui formaient la cour habituelle de cette femme célèbre.

Cependant, on l’attendait dans ce salon avec anxiété. Pendant la première heure de cette soirée qui faisait une révolution dans le cœur de Lucien, madame Grandet avait régné comme à l’ordinaire. Ensuite, elle avait été en proie d’abord à l’étonnement, puis à la colère la plus vive. Elle n’avait pu s’occuper un seul instant d’un autre être que de Lucien. Une telle constance d’attention était chose inouïe pour elle. L’état où elle se voyait l’étonnait un peu, mais elle était fermement persuadée que la fierté seule ou l’honneur blessé était la cause unique de l’état violent où elle se voyait[1]. Elle interrogeait avec un parler bref, un sein haletant et des yeux à paupières contractées et immobiles, et qui n’avaient jamais été en cet état que par l’effet de quelque douleur physique[2], chacun des députés, des pairs ou des hommes mangeant au budget qui

  1. Mme  Grandet a la mauvaise habitude de se juger elle-même souvent. Habitude de Paris : timidité et vanité.
  2. J’arrangerai cela quand je serai sûr de le conserver.