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régiment, esclave alors de cent petites faiblesses de vanité, et encore regimbant sous ce mot brûlant d’Ernest Dévelroy : « Ô trop heureux d’avoir un père qui te donne du pain ! » Bathilde m’a dit des mots vrais ; par ses ordres, je me suis comparé à des centaines d’hommes, et des plus estimés… Faisons comme le monde, laissons la moralité de nos actions officielles. Eh bien ! je sais que je puis travailler deux fois autant que le chef de bureau le plus lourd, et partant le plus considéré, et encore à un travail que je méprise, et qui à Blois m’a couvert d’une boue méritée peut-être. »

Ce fonds de pensées était à peu près le bonheur pour Lucien. Les sons d’un orchestre mâle et vigoureux, les pas divins et pleins de grâce de mademoiselle Elssler le distrayaient de temps en temps de ses raisonnements et leur donnaient une grâce et une vigueur séduisantes. Mais bien plus céleste encore était l’image de madame de Chasteller, qui à chaque moment venait dominer sa vie. Ce mélange de raisonnements et d’amour fit de cette fin de soirée, passée dans un coin de l’orchestre, un des soirs les plus heureux de sa vie. Mais le rideau tomba.

Rentrer à la maison et être aimable pendant une conversation avec son père,