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rôle. Car enfin, aujourd’hui il serait ivre de bonheur de se voir maître des requêtes, préfet, secrétaire général, tandis que je ne puis voir dans M. Lucien Leuwen qu’un sot complet, qu’un butor endurci. La boue de Blois même n’a pas pu me réveiller. Qui te réveillera donc, infâme ? Attends-tu le soufflet personnel ?

« Coffe a raison : je suis plus grandement dupe qu’aucun de ces cœurs vulgaires qui se sont vendus au gouvernement. Hier, en parlant de Desbacs et consorts, Coffe ne m’a-t-il pas dit avec sa froideur inexorable : « Ce qui fait que je ne les méprise pas trop, c’est qu’au moins ils n’ont pas de quoi dîner. »

« Un avancement merveilleux pour mon âge, mes talents, la position de mon père dans le monde, m’a-t-il jamais donné d’autre sentiment que cet étonnement sans plaisir : « N’est-ce que ça ? »

« Il est temps de se réveiller. Qu’ai-je besoin de fortune ! Un dîner de cinq francs et un cheval ne me suffisent-ils pas, et au delà ? Tout le reste est bien plus souvent corvée que plaisir, à présent surtout que je pourrai dire : « Je ne méprise pas ce que je ne connais point, comme un sot philosophe à la Jean-Jacques. Succès du monde, sourires, serrements de mains des députés campagnards ou des sous--