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Il n’eut pas fait cent pas dans la rue qu’il accrocha.

« Je suis donc vraiment heureux, se dit-il en faisant monter son domestique pour conduire, je suis troublé.

« N’est-ce donc que cela, que le bonheur que peut donner le monde ? Mon père va faire un ministère, il a le plus beau rôle à la Chambre, la femme la plus brillante de Paris semble céder à ma prétendue passion… »

Lucien eut beau torturer ce bonheur-là, le serrer dans tous les sens, il n’en put tirer que cette sensation :

« Goûtons bien ce bonheur, pour ne pas le regretter comme un enfant quand il sera passé. »

Quelques jours après[1], Lucien, descendant de cabriolet pour monter chez madame Grandet, fut séduit par l’éclat d’un beau clair de lune qu’il apercevait par la porte cochère sur la place de la Madeleine. Au lieu de monter, il sortit, ce qui étonna fort MM. les cochers.

Pour se délivrer de leurs regards, il alla à cent pas plus loin, alluma humblement son cigare au feu d’un marchand

  1. Soliloque de Lucien après l’intimité avec madame Grandet.